Les enjeux climatiques interpellent les missions de l'orientation professionnelle
Comment accompagner les jeunes vers un choix professionnel dans un monde en mutation défié par les enjeux de la durabilité? Témoignages.
De tout temps, le travail a évolué au rythme des inventions techniques et des progrès sociaux. Les métiers se développent pour répondre aux besoins à venir de l’économie et de la société: l’apparition de l’informatique, omniprésente aujourd’hui dans la vie privée et professionnelle, a inauguré de nouveaux métiers de tout niveau, par exemple. Dans le domaine social, le vieillissement de la population et les changements de nos organisations sociales ont fait émerger des besoins accrus en professionnels formés dans l’accompagnement et les soins. Aujourd’hui, l’arrivée de l’intelligence artificielle (IA) générative bouleverse le monde du travail dans de nombreux secteurs. À cela s’ajoutent les enjeux climatiques et le thème de la durabilité qui questionnent le choix d’un métier dans un monde aux ressources limitées.
La quête de sens
Non seulement confrontés aux bouleversements de l’adolescence et à la difficulté de choisir un métier, les jeunes doivent y réfléchir en tenant compte de l’état actuel d’un monde menacé. Il existe plusieurs métiers susceptibles de jouer un rôle en faveur de la durabilité: parmi ceux-ci, les recycleurs et recycleuses CFC, les techniciens et techniciennes en énergie et environnement ES, les ingénieurs et ingénieures en gestion de la nature HES, les biologistes UNI ou les spécialistes de la nature BF. Cependant, pour Sabrina Tacchini, doctorante et assistante diplômée au Centre de recherche en psychologie du conseil et de l’orientation (CEPCO) de l’Université de Lausanne, «tous les métiers sont concernés par la durabilité, pas uniquement les métiers de l’environnement et de la nature.»
Proposer des parcours alternatifs
Après une carrière de conseillère en orientation en Valais, cette psychologue de formation s’est lancée dans une thèse de doctorat pour questionner le sens de son métier. Sabrina Tacchini s’intéresse aux professionnels qui intègrent les limites écologiques dans leur parcours, aux «Gens en chemin» (titre provisoire de sa thèse) qui cherchent à changer leur métier, leurs pratiques et leurs actions. Des soins infirmiers à l’industrie, en passant par la santé, l’architecture, l’ingénierie, la psychologie, l’éducation ou encore l’informatique, tous les domaines sont représentés. Les profils de ces précurseurs, qualifiés d’«écolucides» par la chercheuse en réponse à la notion d’écoanxiété, sont variés: «Nous avons identifié que les gens en chemin de notre recherche réfléchissent à leurs choix selon plusieurs critères. Certains ont des connaissances scientifiques des problèmes de durabilité. D’autres critiquent le capitalisme, s’engagent et cherchent des alternatives à ce modèle économique. D’autres encore s’interrogent sur leurs valeurs et sur les valeurs dominantes du marché du travail (performance, croissance, compétitivité, etc.) ou sur la place de l’humain dans la nature, par exemple.»
Changer de paradigme
Sabrina Tacchini poursuit: «Le problème est énorme: il est impossible de «tirer la prise», car tout est interconnecté et interdépendant. En jargon systémique, c’est ce qu’on appelle un problème vicieux. Il faut donc changer notre manière d’habiter notre monde.» Cependant, constate la chercheuse, «la loi empêche parfois la transformation de l’économie et des activités vers la décroissance ou post-croissance, par exemple dans le domaine de la construction, quand elle impose des contraintes d’installations techniques coûteuses». Dans le travail de conseil en orientation, propose Sabrina Tacchini, «nous pouvons valoriser des métiers essentiels qui attirent peu, notamment l’artisanat, le recyclage, les soins etl’éducation, l’agriculture et l’alimentation durable, et proposer des parcours alternatifs. Il s’agit d’une transformation socioécologique: pour cela, il faut se décentrer».
L’engagement des pouvoirs publics
À tous les niveaux politiques, les enjeux climatiques sont des thèmes cruciaux. Pour Svend Lehmann, chargé de projets à la Direction générale de l’enseignement postobligatoire (DGEP) du Canton de Vaud, «il convient de se mettre ensemble et d’agir chacun selon ses ressources pour devenir partie prenante de ce changement». Dans le canton lémanique, près de 4 millions de francs sont dédiés à la mise en place de mesures visant à sensibiliser les écoles aux enjeux de la durabilité et à travailler sur l’attrait des métiers qui s’y rapportent. Les adultes cherchant à se qualifier dans les métiers des transitions écologique et énergétique bénéficieront également d’un soutien particulier pour augmenter le nombre de travailleurs qualifiés dans ces domaines. Comme dit le proverbe cité par Svend Lehmann, «les petits ruisseaux font les grandes rivières». L’Office cantonal d’orientation scolaire et professionnelle vaudois est associé à ce projet. La deuxième saison des podcasts la «Voix des métiers» présente des trajectoires de professionnels engagés dans leur métier en faveur de la durabilité. L’occasion pour l’orientation de transmettre une vision d’un avenir possible.
Corinne Giroud
Office cantonal d'orientation scolaire et professionnelle
Publié dans le 24 heures du 10 octobre 2024