Au terme d’une instruction pénale débutée il y a un peu moins d’une année, l’affaire dite du drame de Montreux vit son épilogue : le procureur en charge a en effet rendu un avis de prochaine clôture le 20 mars dernier, étape préalable au prononcé d’une ordonnance de classement.
Les investigations ont porté sur les examens de médecine légale, la perquisition de l’appartement et de la voiture de la famille, de même que du domicile de la sœur jumelle de l’épouse, l’étude des données numériques contenues dans les appareils de la famille, ainsi que les image d’une caméra de surveillance du Casino de Montreux. Plusieurs témoins ont été auditionnés parmi le voisinage, les collègues et la famille vivant à l’étranger.
Les éléments recueillis par les enquêteurs de la police cantonale ont permis d’établir que cette famille de cinq personnes – le père, la mère, sa sœur jumelle et les deux enfants mineurs – vivait en autarcie, ne sortant que très rarement à l’exception de la sœur jumelle qui se rendait à son travail, et n’avait noué aucun lien particulier avec des tiers. Les enfants étaient scolarisés à domicile et n’avaient pour ainsi dire aucun contact extérieur. La famille suivait une doctrine survivaliste et complotiste. De grandes réserves de nourriture, vêtements, médicaments et produits d’hygiène ont été retrouvés dans les deux appartements, de même que des livres et des documents numériques mis à jour par les investigations policières. Le COVID et le déclenchement de la guerre en Ukraine semblaient avoir également affecté les membres de la famille. Ceux-ci faisaient montre d’une grande défiance envers tout ce que représentait l’Etat, notamment l’école et la police.
Concernant la dynamique familiale, l’enquête révèle que la mère et sa sœur présentaient des personnalités dominantes et possessives, contrastant avec un père effacé. Très contrôlantes, elles exerçaient une forte emprise sur les enfants et les maintenaient dans la croyance d’un monde qui leur était hostile.
Le fils était scolarisé à domicile et faisait l’objet du contrôle usuel des autorités cantonales en la matière. La mère avait annoncé son départ à l’étranger en août 2019 avec sa fille, les soustrayant ainsi aux contrôles de l’Etat, notamment en matière scolaire.
Passage à l’acte prémédité
Selon l’enquête et s’appuyant sur les preuves liées aux croyances religieuses de la famille, celle-ci avait préparé, répété et organisé son départ vers « un monde meilleur » sans toutefois avoir fixé de date précise, en attendant un événement déclencheur. En ne répondant volontairement pas aux multiples sollicitations des autorités vaudoises visant à vérifier le bon déroulement de la scolarisation à domicile du fils, le père a fini par faire l’objet d’un mandat d’amener préfectoral. L’arrivée d’agents de police pour ce motif a été l’élément déclencheur attendu.
Lorsque lesdits agents ont sonné à la porte de l’appartement situé au 7ème étage, le 24 mars 2022 vers 6h15, un bref échange oral a eu lieu à travers la porte. Celle-ci était verrouillée et entravée par des affaires à l’intérieur du logement, dénotant une volonté de se barricader. Pendant que les policiers patientaient, les membre de la famille se sont rendus sur le balcon et se sont jetés dans le vide à tour de rôle, en silence et selon un ordre confirmé par les images d’une caméra du casino et plusieurs témoins : la sœur jumelle, la mère, la fille, le fils, puis le père, dans un intervalle de 5 minutes.
L’intervention rapide de la police et des secours a permis de prendre en charge le fils, seul rescapé de ces événements. Le procureur de service du Ministère public d’arrondissement de l’Est vaudois s’est rendu sur les lieux sitôt averti par la Centrale vaudoise police.
Pas d’intervention extérieure
Les enquêteurs ne disposent d’aucune image, ni de témoignage oculaire de ce qui s’est déroulé sur le balcon. Cependant, l’absence de trace de lutte dans l’appartement, de même la présence des deux agents de police derrière la porte verrouillée au moment des faits, ont permis d’écarter l’intervention d’une tierce personne. L’enquête n’a pas non plus révélé de lien avec des personnes, des groupes ou des mouvances qui auraient pu inciter les trois adultes à mettre un terme à leurs jours en emportant les deux enfants.
Le rapport de médecine légale ne relève aucune trace ou lésion sur les corps des victimes, autres que celles liées à la chute, ni de trace de substance chimique dans les organismes.
Un escabeau installé sur le balcon, vraisemblablement utilisé pour enjamber la rambarde, de même que l’absence de cris lors de la chute des cinq individus viennent renforcer la thèse finalement retenue du suicide collectif.
Le jeune survivant a été entendu, mais n’est pas en mesure de faire le récit du déroulement des faits. Il est physiquement rétabli et pris en charge par le Service des curatelles et tutelles professionnelles. Pour des raisons liées à la protection de sa personnalité, le Ministère public appelle à la plus grande retenue à l’égard de ce mineur.
Au vu de ce qui précède, le procureur a décidé de mettre un terme à cette procédure et de rendre une ordonnance de classement d’ici quelques semaines. Cette procédure ne fera l’objet d’aucun autre commentaire.