Des mesures démesurées

[Diagonales, mensuel romand de la santé mentale] A quelles réalités de vie est confronté un patient psychique en prison, sous mesures thérapeutiques institutionnelles ? Cette problématique était au cœur du 2e Café " Prison " et elle a été éclairée par des collaborateurs du Service pénitentiaire, un avocat, des psychiatres, des proches et des personnes concernées. Des regards croisés exceptionnels.

Qu'en est-il des patients psychiques en prison, qui font l'objet d'une mesure, selon l'article 59 du Code pénal? Comment la mise en application de la mesure s'organise-t-elle ? De quel encadrement bénéficient-ils? Les soins prodigués par les psychiatres et les infirmiers sont-ils suffisants ? Les agents de détention ont-ils le temps de répondre à leurs besoins ? Les différents témoins, conviés au 2e Café "Prison ", qui s'est tenu le 5 novembre à la salle des fêtes du Casino de Montbenon à Lausanne, ont ouvert des pistes de réflexion. Le débat a pris tour à tour une tournure juridique, pénitentiaire, sociale, médicale et inévitablement politique quand il s'agit de réfléchir aux moyens engagés par l'Etat. Quelque nonante participants ont répondu à l'appel du Graap-Association et de sa présidente, Madeleine Pont, initiatrice des cafés prisons. Celle-ci n'a pas manqué de saluer la mobilisation du Service pénitentiaire (SPEN) largement représenté ce soir-là.

Comme des délinquants
Pour ouvrir les feux, l'avocat et pénaliste lausannois Me Jean Lob a dénoncé les mesures thérapeutiques institutionnelles, entrées en vigueur avec le nouveau Code pénal, en 2007. Il a insisté sur le fait qu'une personne sous mesure ne sait jamais quand celle-ci prendra fin, alors qu'un condamné ordinaire, arrivé au terme de sa période de privation de liberté, sait qu'il recouvrira cette liberté et peut l'espérer déjà aux deux tiers de sa peine. Cette incertitude peut conduire à des actes de rébellion, de violence envers les surveillants mais aussi de désespoir, à l'image d'un de ses clients qui s'est immolé par le feu. Si une mesure ne doit pas dépasser cinq ans, le juge peut cependant en demander la prolongation, à la requête de l'autorité d'exécution, lorsqu'il estime que la personne, en fonction de son trouble mental, peut être amenée à commettre des délits graves. Pour compléter ce tableau, Me Lob n'a pas mâché ses mots : "Dans le canton de Vaud, les mesures sont exécutées essentiellement en milieu carcéral. On traite ces condamnés non pas comme des malades psychiques, mais essentiellement comme des délinquants." Alors, à quand un hôpital carcéral ? Conscientes du problème, les autorités vaudoises planchent sur un projet, qui devrait voir le jour sur le site de Cery ou sur celui des EPO (Etablissements pénitentiaires de l'Orbe).

Pour moduler les propos de Me Lob, les explications fournies par Charles Galley, directeur adjoint aux EPO, ont été précieuses. Lui qui est également responsable de l'exécution des peines et du secteur social, a confirmé l'augmentation au fil des ans des personnes sous mesures institutionnelles (selon l'article 59) : elles étaient 41 à la mi-octobre. L'institution a dû s'adapter aux besoins de chacun. On parle d'individualisation de la peine. Si le Code pénal prévoit une gestion progressive de la peine, par étape, cette logique n'est pas toujours possible. "Nous devons faire face à l'instabilité, à l'impulsivité, à la difficulté de construire avec ces personnes. Ce sont des données importantes à prendre en compte." A cela s'ajoute le manque de structures appropriées - foyers, appartements protégés - pour accueillir les détenus autorisés à poursuivre leur traitement hors de la prison : "L'attente peut aller jusqu'à 18 mois. Notre rôle est de soutenir la personne, de l'aider à gérer cette situation afin qu'elle ne perde pas les acquis qui lui ont permis d'aller de l'avant", rassure Charles Galley.

A des malades à protéger
Gérer des situations toujours plus complexes nécessitent de la créativité et de l'interdisciplinarité. Pour le directeur adjoint des EPO, la création de l'Unité 7 en est l'exemple. Rattachée à la Colonie, mais située dans un secteur isolé, l'Unité 7 accueille une vingtaine de personnes. Son but ? Protéger ces patients fragiles psychologiquement du racket et de la manipulation dont ils sont victimes de la part des autres détenus. On insiste sur les règles de base, comme l'hygiène, le comportement adéquat. Un atelier de réinsertion leur offre un cadre de travail adapté à leur situation. La collaboration avec les intervenantes socio-éducatives des EPO est étroite, comme l'ont expliqué ces deux représentantes, Magda De Pasquale et Prisca Herzog. Importante aussi l'intervention du Service de médecine et de psychiatrie pénitentiaires (SMPP), rattaché administrativement aux Hospices cantonaux.

Le travail interdisciplinaire, encore et toujours, tel fut aussi le credo de Marie, agente de détention à la Tuilière à Lonay depuis dix ans. Cette prison vaudoise accueille actuellement six personnes sous mesure (article 59). La jeune femme a clamé haut et fort que le système pénitentiaire n'était pas qu'une machine à broyer : "J'ai vu des patients sortir de nos murs, aller dans un foyer et finir en liberté." Comme d'autres surveillants, Marie a suivi une formation spéciale pour travailler avec ces patients atteints de troubles psychiques, dont elle s'occupe deux jours par semaine : "Ces jours-là, je ne suis pas agent de détention, je suis dans la proximité. S'ils ont besoin de parler, de faire du sport, de jardiner, je suis là. On élabore ensemble un plan.". Avec sa force de conviction chevillée au corps, Marie a la certitude que le monde pénitentiaire a bougé depuis une décennie. Le temps d'écoute dont elle dispose pour les détenus a suscité l'intervention de Mireille Aubert. La rapportrice du Comité vaudois des Visiteurs de prison a dit entendre l'exact contraire de la part des agents de détention qu'elle côtoie.

Le problème du manque de personnel, médical cette fois, a aussi été soulevé par l'auditoire très réactif de ce 2e Café "Prison". Le Service de médecine et de psychiatrie pénitentiaires compte 72 personnes pour 49,6 équivalents temps plein (ETP), dont 9 psychiatres, 4 psychologues et 38 infirmiers, a précisé son chef de service, le Dr Bruno Gravier. "Là où la situation a beaucoup changé, a analysé ce dernier, c'est qu'il ne suffit plus de mettre de l'écoute psychiatrique en prison. Il faut soigner une population toujours plus atteinte psychiquement avec des moyens identiques à celui d'un hôpital." C'est à cet état de fait qu'est confronté au quotidien le Dr Christopher Hasler, responsable de l'Unité psychiatrique de Bochuz. Elle compte huit places, destinées à des malades psychiques graves (schizophrènes). Ici, le personnel infirmier est présent 7 jours sur 7, c'est unique dans une prison vaudoise. En revanche, de 17 heures à 7 heures, il n'y a qu'un infirmier de piquet qui peut, si besoin, appeler un médecin psychiatre ou somaticien. " Ce qui pose problème ", dénonce d'emblée le Dr Hasler. Avec beaucoup d'humanité, le psychiatre a décrit sa mission aux EPO : un travail de liaison essentiellement, qui consiste à poser un cadre de soins et organiser un réseau. A lui aussi de communiquer avec toutes les instances, tant la direction, les assistants sociaux, l'exécution des peines..., pour amener à une meilleure compréhension du patient psychique, placé dans un univers nullement adapté à son état. "Les personnes sont sous mesure parce que la société a décidé qu'elles représentaient un risque. Comment agir pour le diminuer? ", questionne le Dr Hasler.

Les deux témoignages, lus par Madeleine Pont, nous ont plongés au cœur de la souffrance de deux détenus. Sont-ils une esquisse de réponse? Jonas, ballotté de foyer en hôpital psychiatrique, puis de la maison d'arrêt du Bois Mermet à la prison de la Tuilière, crie son sentiment d'injustice. Comment lui, diagnostiqué schizophrène, a-t-il pu être mis au cachot, isolé, enfermé, alors qu'il était en proie à des angoisses terribles et nécessitait des soins ?

Au cœur de la souffrance
Quant à Jérémie, arrivé du Congo en Suisse, il a traversé de graves épisodes de schizophrénie, dont le seul exutoire fut des actes violents. A la prison de la Croisée, il agresse une surveillante et se retrouve en cellule forte, pour une semaine. L'horreur ! Une médication adéquate va enfin changer sa vie. Revenu à la Tuilière poursuivre sa peine, il peut se reconstruire car il adhère au projet proposé. Aujourd'hui, Jérémie a rejoint un atelier du Graap-Fondation et positive son expérience : "Dieu m'a fait vivre cette épreuve pour me remettre dans le droit chemin. La prison a joué son rôle, j'ai grandi spirituellement.

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